
Retour en forme pour les
Frères Coen, avec cette remarquable adaptation du roman de
Cormac McCarthy. Entre polar lumineux et western crépusculaire, ils signent une œuvre jouissive, intelligente et déjantée, d’une beauté saisissante.
Terminator au Far-West
Quand Llewelyn découvre, au milieu des cadavres, un chargement de drogue et une mallette de grosses coupures, les ennuis commencent... La trame de No country for old men évoque diablement
Fargo. En l’occurrence, ce n’est pas grave, car c’est encore mieux. Le désert remplace la neige, mais les personnages sont toujours aussi paumés dans l’immensité de décors qui leur survivront.
Psychopathe échevelé,
Javier Bardem, froide machine à tuer au visage halluciné, dézingue à tout va avec sa bonbonne à air comprimé. Il incarne la marche d’un nouveau monde : implacable et sans règle. A distance respectable,
Tommy Lee Jones, vieux baroudeur désabusé et nostalgique, calme le jeu et préfère attendre que ça passe. Entre les deux, Llewelyn est pris au piège. Ce va-et-vient constant entre radicalité et sagesse, action et observation, dessine la nouvelle frontière d’un Ouest sauvage où le bon vieux temps, c’était de tuer… avec certaines valeurs. Sans vraiment se moquer d’eux, les Coen, spectateurs doucement ironiques et démiurges tout-puissants, observent leurs destins ridicules, et nous rendent complices de leur inadaptation tragique. Ici et maintenant, l’humanité est une faiblesse.
Au plus-que-parfait
Mais qu’est ce vraiment que ce film noir baigné de lumière qui se déroule sur les terres du Western : s’agit-il d’un polar contemplatif ou d’une course-poursuite vaine ? D’une comédie grotesque ou d’une réflexion métaphysique sur un devenir-machine ? Peu importe. Ce qui compte c’est, à partir de ce mélange des genres et des formes, d’imposer l’idée, sans l’énoncer, de l’inéluctable marche du temps et des difficultés à en identifier les bornes. Passé (le bon sheriff), présent (le faux truand) et futur (la vraie brute), interagissent sans jamais se rejoindre. Trois histoires, trois points de vue, à jamais incompatibles. L’ellipse inattendue du règlement de compte final illustre joliment cette impossibilité de faire cohabiter, dans un même plan, des temps différents. Elle prouve également, si besoin, que les Coen mènent leur barque à leur guise et ne se soucient de nos attentes... que pour mieux les surprendre.
Bien circonscrit par le cadre du roman, leur habituel sens de l’absurde nous offre un magnifique divertissement dont la profondeur affleure avec discrétion, sans jamais ralentir ni alourdir le récit. La rencontre avec leur univers est donc non seulement réussie, mais parfaitement réjouissante. Les Coen sont intemporels et universels : leur temps, c’est le plus-que-parfait.